outubro 27, 2007

Guy Hermet : "Uma liberdade falseada" in Le Monde, 25 de Outubro de 2007


Ancien directeur du Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, vous publiez L'Hiver de la démocratie ou le nouveau régime (Armand Colin, 230 p., 22,50 €). Un tableau sombre de l'état de nos "vieilles démocraties" où sévissent, selon vous, des formes insidieuses de contrôle des esprits...

Nous vivons dans une situation paradoxale. A priori, notre liberté est totale. Mais c'est une liberté faussée, soumise à une censure qui n'est pas extérieure, mais que nous avons tendance à intérioriser. Il y a des mots que l'on n'ose plus utiliser : voyez l'expression "souveraineté du peuple". Pourtant liée depuis toujours à l'idée de démocratie, elle fut d'abord placée en exergue du projet de Constitution européenne, avant d'être exclue de sa version finale. Il y a d'autres mots, à l'inverse, dont on use à tort et à travers au point de ne plus savoir de quoi on parle, comme "citoyen" ou "républicain". Notre liberté de parole est de plus en plus encadrée par une sorte de préservatif lexical qui garantit la "bonne" pensée. Nous ne nous en rendons pas forcément compte, d'ailleurs. Cela me fait penser à la "novlangue" évoquée par George Orwell dans 1984.


Orwell imaginait cette "novlangue" comme un instrument de propagande forgé par des Etats totalitaires. Le rapprochement n'est-il pas exagéré ?

La différence principale entre les démocraties et les totalitarismes est que cet endoctrinement par la langue ne vient plus d'en haut. Encore que... Prenez la France : depuis la loi Gayssot (1990), qui sanctionne la négation des crimes contre l'humanité commis durant la seconde guerre mondiale, on a adopté d'autres lois qui prétendent dire ce qu'est la vérité historique, sur l'esclavage ou le génocide arménien, par exemple. Je ne dis pas que ce qui est dit par la loi est historiquement faux. Je constate simplement qu'on assiste au retour de la notion de "vérité officielle". Mais admettons : il est vrai que, dans nos démocraties, l'Etat n'est plus le seul lieu où se décide ce que l'on doit penser ou non. Les instances qui dispensent le "politiquement correct" sont diverses : les hommes politiques, les hauts fonctionnaires, les syndicats, les Eglises, les intellectuels, les journalistes... Ce qui m'inquiète, c'est qu'il est très difficile, en raison même de cet éclatement, de lutter contre la prolifération du prêt-à-penser.

Vous parlez à ce propos de "nouvel ordre moral". En quoi est-ce dangereux pour la démocratie ?

Il ne faut pas oublier que logos, en grec, signifie à la fois la parole et la raison. Ainsi, quand on crée de la confusion dans les mots, on "désinstruit" les gens, on sape l'esprit critique. Par exemple, je suis frappé - moi qui suis pourtant très proeuropéen - par le vocabulaire que distillent les instances communautaires : on parle de "gouvernance" plutôt que de "gouvernement", ou encore d'"ajustements sociaux" pour euphémiser ce qui conduit en fait au démantèlement de l'Etat-providence. Bref, un lexique anesthésiant qui tend à dépolitiser les problèmes, à masquer le caractère conflictuel de la réalité. La conséquence, c'est un appauvrissement de la pensée. Or la vraie démocratie réside dans la capacité qu'a le peuple de faire des choix. Il doit pour cela y voir clair. L'important est de retrouver cette capacité de résistance qu'offrent les mots.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-970917,0.html
JPTF 2007/10/27

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